Cette rubrique vise à recenser et expliciter les notions-clefs du territorialisme, accompagnées de quelques références jugées essentielles. Cette rubrique accueille toutes les suggestions et les contributions des membres du réseau.
Autogestion
L’auto-gestion désigne la capacité d’un groupe d’individus à définir ses règles d’organisation, de fonctionnement et à gérer leur application (Collonges, 2010). L’autogestion suppose toujours la reconnaissance de ce groupe par ses membres, par exemple autour d’un objectif commun, mais aussi souvent par un lieu de vie en commun. La construction de ce collectif comme entité politique est dite autonomie.
L’autogestion a une racine historique dans le socialisme polycentrique (refusant un système étatique) (Rosanvallon, 1976) ou l’anarcho-syndicalisme (Lefebvre, 1966). Elle est parfois confondue avec le terme de démocratie directe (Desbrousses-Peloille, 1986), l’autogestion pouvant inclure des formes de responsabilité tournante, de représentation non-universelle, de tirage au sort… Cette confusion s’explique en grande partie par la disparition progressive du terme dans le vocabulaire commun des luttes (Gulli, 2015), notamment dans les milieux militants.
Ce sont surtout les « utopies concrètes » qui ont contribué à renouveler ses pratiques lors de ces dernières décennies (Georgi, 2003), via notamment leur application dans des communautés de vie ou au sein de coopératives (ex : SCoP), singulièrement au prisme des enjeux et valeurs de l’écologie.
Bibliographie:
– Hélène Desbrousses-Peloille, 1986, « Représentations de l’autogestion », Revue française de science politique, vol. 5, n° 36, pp. 606 – 632, Disponible en ligne
– Frank Georgi, 2003, Autogestion. La dernière utopie, Paris, Publications de la Sorbonne, 612 p.
– Florian Gulli, 2015, « Que faire de l’autogestion ? », Mouvements, vol. 4, n° 84, pp. 163 – 171, Disponible en ligne
– Henri Lefebvre, 1966, « Théorie de l’autogestion », Cahier de l’autogestion, n° 1, éditions Anthropos, pp. 59 – 70.
– Pierre Rosanvallon, 1976, L’âge de l’autogestion, ou la Politique au poste de commandement, Paris, éditions Seuil, coll. « Politique », 187 p.
Autonomie locale
Dans la réflexion territorialiste, la notion d’autonomie locale renvoie d’abord à la pensée d’Ivan Illich (1973), c’est-à-dire à un maillage de savoirs et de pratiques inscrit dans des communautés à échelle humaine. Considérée comme une référence importante dans nombre de mouvements, qu’ils soient de l’alternative écologique ou de la collapsologie, l’autonomie est ici entendue comme ne pouvant reposer que sur des communautés locales plus respectueuses du vivant, privilégiant le soin par l’écologie et l’intensité relationnelles et auto-déterminant de leurs pratiques, représentations, voire institutions. En ce sens, l’autonomie locale, au même titre que l’autogestion, implique très directement le polycentrisme, voire le confédéralisme.
Opposé à l’hétéronomie qui serait le fait de la hiérarchie et de l’obéissance aux règles sociales et politiques, l’autonomie revêt le sens d’une capacité « rebelle » (Baschet, 2014) à s’autogouverner, un présupposé désormais perdu par la déterritorialisation des conduites et la marchandisation de toute relation au milieu, deux des caractéristiques premières de la métropolisation et de ses métropoles. Le territorialisme vise par son approche à défendre ou renforcer l’autonomie, déjà instituée juridiquement à partir de l’époque romaine par les municipia – les communautés – et les universitas – les communs – qui constituent l’élément premier de l’identification des habitants à leurs espaces de vie.
Cette approche, opposée à une vision centralisée, fonctionnelle et utilitariste des relations, enracine le politique dans les cultures locales qui, loin de défendre des identités particularistes (que les contempteurs s’échinent à qualifier d’égoïstes voire d’idéologiques), nouent des interdépendances organiques entre différentes localités. L’autonomie n’est donc pas l’indépendance radicale et encore moins l’autarcie totale, mais s’accompagne de nouveaux registres de solidarité et d’entraide, notamment par le commun.
Bibliographie:
– Jérôme Baschet, 2014, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, La Découverte, L’Horizon des possibles, 160 p.
– Renaud Garcia, 2019, Pierre Kropotkine et l’économie par l’entraide, Le passager clandestin, coll. Les précurseurs de la décroissance, 132 p.
– Ivan Illich, 1973, La convivialité, Paris, Editions du Seuil, 162 p.
Biorégion
Le terme de biorégion a été défini pour la première fois dans l’article « Reinhabiting California », publié dans la revue The Ecologist, par Peter Berg et Raymond Dasmann en 1977. La biorégion est alors très proche des pensées déclarées de l’écologie profonde. Elle serait une « région gouvernée par la nature » (Sale, 1985), fondée sur un principe de réciprocité et d’harmonie entre l’espèce humaine et l’ensemble du vivant. Dans cette perspective, le territoire n’est pas pensé selon des limites administratives héritées mais en prenant en compte l’histoire des communautés humaines et les relations qu’elles tissent, par l’habiter, avec leurs écosystèmes de vie.
La biorégion constitue alors une alternative au mouvement de métropolisation du monde. Elle permet de repenser les bases de la géographie économique et politique, particulièrement à l’ère/aire du changement d’échelle de la massification urbaine. Contrairement à la croissance et à la grandeur sans cesse vantées, cette géographie fait non seulement droit aux fonctionnements socio-écologiques mais également aux règles humaines et sociales de coexistence ayant pu, historiquement, en découler. Les « formes d’auto-gouvernement des lieux de vie et de production » sont pensés de manière non duale (Magnaghi, 2014, p.7).
Il existe plusieurs expérimentations biorégionalistes. En premier lieu celle fondée en 1970 par le sociologue David McCloskey, qui grâce aux savoirs de l’écologie, définit la région de Cascadia au Nord-Ouest du Canada et des Etats-Unis. Délimité par des bassins-versants et le réseau hydrographique, mais aussi par une unité socio-culturelle (Celnik, 2017), cette tentative est à ce jour la plus aboutie. Suivant cette expérience, mais avec une proposition urbaine et d’entrée bien plus culturaliste (Rollot, 2018), plusieurs réalisations sont à l’œuvre en Italie du Nord notamment à Milan et à Florence (Magnaghi, 2014, 2018). En France, des projets se développent aussi, notamment en Gironde avec le projet d’un parc agricole et forestier. L’Institut Mometum a récemment porté une réflexion biorégionaliste dans une démarche de prospective pour les territoires francilien en 2050.
Toutes ces expériences ou pensées prospectives restent orphelines d’une perspective politique. En effet, la biorégion offre la possibilité de penser politiquement d’autres organisations sociales fondées sur la décroissance et l’auto-gestion/gouvernement, avec municipalisme et polycentrisme confédéral pour projet.
Bibliographie :
– Julie Celnik, 2017, « La biorégion de Cascadia, territoire de la décroissance », Gouverner la décroissance, Presses de Sciences Po, Nouveaux Débats, p. 232.
– Alberto Magnaghi, 2014, La biorégion urbaine: petit traité sur le territoire bien commun,
– Emmanuelle Bonneau (trad.), Paris, France, Eterotopia France, 174 p.
– Mathias Rollot, 2018, « Aux origines de la « biorégion » », Métropolitiques, Disponible en ligne
– Peter Berg, Raymond Dasmann et Mathias Rollot, 2019, « Réhabiter la Californie », EcoRev’, 10 mai, N° 47, no 1, pp. 73-84, Disponible en ligne
Commun(s)
Que ce soit des terres agricoles, des pâturages, des pêcheries… mises en commun, ou encore des coopératives de semences, « On estime que 2 milliards de personnes dans le monde subviennent à leurs besoins quotidiens à travers une forme ou une autre de gestion communautaire de ces ressources naturelles. » (Bollier, 2014, p.13). Loin de se réduire à une gestion partagée de « biens », ces communs reposent sur des règles d’usage collectivement construites (Ostrom, 2010), dont la pérennité est assurée par les valeurs sociales et démocratiques elles-mêmes partagées.
En fait, revendiquant un droit de l’inappropriable (Dardot et Laval, 2014), les pensées des communs sont certes oppositionnelles (Le Strat, 2016), en réaction à l’Etat, et par là simultanément au Socialisme scientifique et au Capitalisme, mais elles constituent surtout un projet politique alternatif qui repose sur le ménagement du vivant et sur la création de formes locales d’autogouvernements : les communes et leur municipalisme (Bookchin, 2007).
Le commun est donc un principe politique qui s’appuie sur le co-engagement des individus en vue de l’autonomie locale, et ce en réaction à la seule propriété marchande et à ses accointances gestionnaires très souvent véhiculées par les institutions politiques. A ce jour, trois grands communs structurent les alternatives de l’autonomie locale par l’écologie : habiter, coopérer, autogérer (Faburel et Girault, 2016 ; Faburel 2018).
Bibliographie:
– David Bollier, 2014, La renaissance des communs, Paris, Ed. Charles Léopold Mayer, 192 p.
– Murray Bookchin, 2007, Social Ecology and Communalism, Oakland, CA, AK Press, 128 p.
– Pierre Dardot et Christian Laval, 2014, Commun. Essai sur la révolution du XXIème siècle, La Découverte, 600 p.
– Guillaume Faburel et Mathilde Girault, 2016, La fin des villes. Reprise de l’action, Carnets de la décroissance, Editions Aderoc, 144 p.
– Guillaume Faburel, 2018 (rééd. poche 2019), Les métropoles barbares. Démondialiser la ville, désurbaniser la terre, Le passager clandestin, 368 p.
– Pascal Nicolas-Le Strat, 2016, « Le commun oppositionnel », Variations. Revue internationale de théorie critique, no19, Disponible en ligne
– Elinor Ostrom, 2010, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck, 300 p.
Habiter
Née de la philosophie et de l’anthropologie, la notion d’habiter est aujourd’hui également beaucoup travaillée par la géographie, la sociologie et l’architecture. La diversité des prises disciplinaires pour penser l’habiter témoigne de sa capacité heuristique. Cette notion met en mots des expériences premières de chacun·e ainsi que des désirs socialement partagés. Plus précisément, l’habiter désigne la manière dont les individus pratiquent, pensent et organisent des lieux qui les affectent par leurs proximités, leurs familiarités, les imaginaires qu’ils charrient, les rêves qu’ils représentent… Autrement dit, c’est la manière dont ils investissent des lieux, par la pratique (les corps) et par la pensée (l’imagination), en leur assignant des significations et des valeurs, constituant ainsi des sociétés humaines passées ou à-venir (Hoyaux, 2002).
En contexte de crises écologiques, cette notion revêt un rôle politique d’autant plus fort car elle invite à désigner l’humain autrement que par la fonction anthropologique de la mobilité ou par la fonction technologique de l’ubiquité. Sa porté ontologique minimale est élargie par les soins apportés au lieu habité, constitutifs d’une certaine éthique personnelle et collective, « à partir de la conscience aiguë d’un destin terrestre commun et la crise civilisationnelle accentuée par les inégalités et la pauvreté »(Younès, 2007, p. 364). Ainsi, l’habiter « n’est pas se fondre dans un creuset spatial et y développer des façons de faire et d’être déterminées par celui-ci. Il est nécessaire de penser l’individu comme l’acteur d’une partie au moins de sa réalité géographique (…) comme l’acteur de sa réalisation en tant qu’être qui fait sens » (Hoyaux, 2002).
Bibliographie :
– André-Frédéric Hoyaux, 2002, « Entre construction territoriale et constitution ontologique de l’habitant : Introduction épistémologique aux apports de la phénoménologie au concept d’habiter », Cybergeo : European Journal of Geography, n° 216, 18 p., Disponible en ligne
– Chris Younès, 2007, « Conclusion. Au tournant de la modernité, habiter entre Terre et monde », dans Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès (dir.), Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie, Paris, La Découverte, coll. Armillaires, pp. 363 – 373.
Imaginaire
Dans une conception politique de l’imaginaire (Castoriadis, 1975), la société s’auto-institue par l’imaginaire : celui-ci fait exister d’une certaine façon la société, il l’organise, la structure et lui permet de prendre sens pour elle-même. L’imaginaire institué, duquel nous héritons, oriente la façon dont nous « entrons » dans le monde, la place que nous y avons, la lecture que l’on en fait et la manière dont nous y agissons. Pour s’instituer – c’est-à-dire pour être signifiant et donc opérant pour une société – cet imaginaire a dû être, à un moment historique, instituant. L’imaginaire instituant est donc un imaginaire radicalement créateur qui prend valeur de signification pour une société à un moment particulier.
Ainsi, toute transformation de la société par elle-même repose sur un imaginaire qui, à un moment de l’histoire, s’affranchit de ce qui est institué pour se faire instituant. L’imaginaire est à la fois individuel et collectif : il est collectif en ce qu’il rend possible notre organisation collective, il doit être commun à un groupe d’individus pour permettre l’institution d’une société ; il est individuel car il est renouvelé pour chaque individu par l’articulation entre l’imaginaire institué et ses expériences singulières et situées.
Bibliographie :
Cornelius Castoriadis, 1975, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 503 p.
Métropoles / Métropolisation
Des réformes ont, en France comme ailleurs (ex : Italie), sur les dix dernières années créé les Métropoles comme nouvelles institutions territoriales. Ces institutions métropolitaines entérinent un processus de plus longue haleine : la métropolisation. « Phénomène d’organisation territoriale renforçant la puissance des métropoles », il s’agit d’une repolarisation urbaine d’activités économiques dites postindustrielles, et d’une amplification des pouvoirs à l’échelle de ces grands territoires urbanisés. Ce terme signe en fait le stade néolibéral du capitalisme patriarcal globalisé.
Lieux de redéploiement économique et de commandement politique avec pour modèle les villes-monde, les métropoles représentent à l’échelle internationale 12 % de la population mondiale pour 44 % du PIB au niveau mondial. Il y a donc de la « richesse » à créer et de la croissance à trouver, à condition d’attirer les capitaux et les populations les plus rentables. C’est l’objectif du rebond productiviste que toutes les grandes villes connaissent, avec des modèles génériques d’aménagement, des formes archétypales d’architecture, des enseignes standardisées et des profils de population en voie d’homogénéisation.
Ces processus ne sont pas sans effets sociologiques majeurs (ex : évictions des subalternes), écologiques (ex : exploitation des terres), et politiques (ex : éloignement des sphères décisionnelles). La métropolisation est ainsi un fait social total, celui d’une reconfiguration accélérée des espaces vécus et des (bio)pouvoirs qui s’exercent dessus, selon une logique de subjectivation néolibérale des existences. La bio-région post-urbaine représente une alternative territorialiste radicale à la métropolisation généralisée du monde : formes d’habiter plus respectueuses des milieux écologiques, économies fondées sur la coopération et l’entraide et surtout constructions politiques plus en phases avec les désirs de faire autonomie.
Bibliographie :
– Guillaume Faburel, 2018 (rééd. poche 2019), Les métropoles barbares. Démondialiser la ville, désurbaniser la terre, Le passager clandestin, Collection Essais
– David Harvey, 2010, Géographie et capital. Vers un matérialisme historicogéographique, Paris, Syllepse
-Ugo Rossi, 2017, Cities in Global Capitalism, Cambridge, Polity Press
Municipalisme
Le muncipalisme est un mode de gouvernement fondé sur les institutions municipales. Hérité des municipalités bourgeoises du Moyen-Age, le municipalisme prône une décentralisation des pouvoirs centraux (successivement dans l’Histoire : la monarchie, l’empire et l’Etat) par une recomposition de pouvoirs à l’échelle de la Municipalité. Le municipalisme sous-tend donc un désir d’émancipation qui ne se traduit pas toujours part une quête d’autonomie radicale vis-à-vis l’institution. Les exemples des récentes initiatives espagnoles relèvent a priori de cette dynamique.
Le municipalisme libertaire propose un chemin pour faire politique autrement. La volonté d’instaurer une démocratie directe locale se retrouve à différents moments de l’histoire, mais c’est Murray Bookchin qui théorise et diffuse le concept du municipalisme libertaire. L’auteur, dès les années 1970, propose une praxis politique reposant sur le gradualisme révolutionnaire. Il s’agit tout d’abord par des assemblées populaires de permettre l’émancipation des personnes par la participation à l’organisation de la vie de la cité. Le recourt aux élections municipales serait l’occasion de rendre légitime ces assemblées ainsi que d’avoir un pouvoir de décision sur la gestion des affaires publiques. Ces municipalités autonomes, au lieu de rendre compte à une instance centralisée, vont se fédérer avec d’autres communes libérées afin de construire un réseau de communes autonomes, au travers d’un polycentrisme confédéral.
Ce système n’a pas pour ambition de « vider » l’Etat par une décentralisation radicale : « Nous en concluons donc à la possibilité d’un municipalisme libertaire, en définissant une nouvelle politique civique comme un contre-pouvoir capable de placer en contrepoint à l’État centralisé des assemblées et des institutions confédérales » (Bookchin, 2003, p. 38). Toutefois, entre la pudeur de Boockhin et les confusions de contemporains (Durand Folco, 2017), il nous semble qu’il est plus que nécessaire aujourd’hui de réaffirmer le caractère libertaire du municipalisme, d’autant plus que, depuis les premiers écrits de Boockchin, la crise écologique est devenue matricielle et celle du politique essentielle.
Bibliographie :
– Jonathan Durand Folco, 2017, À nous la ville ! Traité de municipalisme, Montréal, Écosociété
– Murray Bookchin, 2003 (rééd. 2018), Pour un municipalisme libertaire, Atelier de création libertaire, 60 p.
– Floréal Romero, 2019, Agir ici et maintenant : penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, Rennes, France, Éditions du Commun, 272 p.
Politicité
La notion de politicité met en lumière l’engagement des classes populaires pour une « double exigence de « survie » et de « citoyenneté » » (Merklen, 2006, p. 174). Il s’agit de lutter pour des conditions de vie décentes, mais aussi d’exprimer une forme de participation à la vie politique. Les Gilets Jaunes ont incarné cette forme d’engagement : pouvoir vivre dignement jusqu’à la fin du mois, se reconnaître dans une expérience de vie partagée et se constituer comme une force politique.
La politicité se pense en écho à la « sociabilité » et la « culture populaire » (2006) qui apparaissent souvent comme les seuls filtres interprétatifs des classes populaires pour le milieu scientifique, les élites politiques et les médias. A l’instar des autres groupes sociaux et indépendamment de leurs ressources et capitaux symboliques, les classes populaires sont intrinsèquement constituées et constitutives d’une vie politique ; elles sont rassemblées autour de luttes et de convictions communes, tout comme elles portent des mobilisations collectives et des initiatives territoriales. Penser les politicités suppose de reconnaitre le pouvoir d’agir, de se mobiliser et de s’auto-organiser des classes populaires.
Si la notion de politicité est essentiellement utilisée afin de rendre compte de l’engagement des classes populaires périphérisées, la territorialisation des luttes et le foisonnement de résistances ordinaires invitent à élargir cette notionà d’autres cas. Tout d’abord, des luttes qui ne sont pas associées à la « popularité » incarnent des formes de politicité, car elles lient le ménagement du vivant (survie d’un territoire) et le concernement écologique (sentiment politique). Par exemple, à Notre-Dame-des-Landes, des militant·e·s issu·e·s de plusieurs lieux et classes sociales s’organisent par l’action directe, le partage d’informations et la mise en débat, l’occupation et la réhabilitation de pratiques paysannes, afin d’assurer une survie de ses habitants (autosubsistance) et du milieu écologique qui assure ces conditions de vie.
Bibliographie :
– Sophie Béroud, Paul Bouffartigue, Henri Eckert et Denis Merklen, 2016, « En quête des classes populaires », dans Les banlieues : territorialisation de la classe et localisation de la mobilisation collective, Editions La Dispute.
– Denis Merklen, 2006, « Une nouvelle politicité pour les classes populaires. Les piqueteros en Argentine »,TUMULTES, numéro 27. Disponible en ligne
– Denis Merklen, 2011, « Individus populaires. Sociabilité et politicité », dans Robert Castel et al. (dir.), Changements et pensées du changement, La Découverte, pp. 100 – 120.
Polycentrisme
Néologisme italien proposé en 1956 par Palmiro Togliatti pour définir la « voie italienne » du communisme, se différenciant pour des raisons culturelles, territoriales et sociales des directives soviétiques. Le polycentrisme signifie donc, dans un registre politique, la prise en compte des particularités des différents « pôles » spatiaux dans une recherche d’autonomie, par opposition à la soumission normative à une centralité d’Etat notamment, ainsi qu’aux visées de concentration des pouvoirs dans les métropoles. Lors de sa reprise dans l’aménagement du territoire français dans les années 1960, le terme revêt un sens d’organisation d’abord fonctionnelle du territoire.
Devenu synonyme du polynucléisme, il correspond alors, à l’échelle nationale, à une répartition spatiale de différentes fonctions (administratives, économiques, sociales…) selon une logique de développement équitable des territoires (Baudelle, Peyrony, 2005), et, à l’échelle urbaine, à un réseau urbain multipolaire (ex : réseau de transport, typologie des formes, diversité fonctionnelle…). La démarche Territorialiste vise à renouer avec le caractère politique du polycentrisme, considérant que la recherche d’autonomie locale constitue un moteur d’organisation et d’animation politique de la vie locale.
Dans la continuité des communs et de la biorégion il s’agit donc de penser une nouvelle culture politique basée sur l’autonomie. La construction démocratique d’un polycentrisme politique s’oppose radicalement à la politique de densification fonctionnelle des espaces métropolitains . Elle repose sur un confédéralisme : des petites unités humaines décentralisées qui s’autogouvernent, s’appuyant sur des ressources de proximité, prenant soin de la communauté, de son milieu et du vivant… Par l’autogestion et l’écologie, il s’agit d’ouvrir la voie à une réorganisation fondamentale du politique et de ses institutions.
Bibliographie:
– Guy Baudelle, Jean Peyrony, 2005, « Le polycentrisme en France : cheminement d’un concept », Territoires 2030, n°1, pp. 89-101.
Recherche-action
La recherche-action renvoie à un ensemble de démarches de sciences sociales visant la production de connaissances pour l’action et par l’action, « faisant de la pratique le point de départ d’une connaissance scientifique du monde social, en même temps que le moteur de son histoire (…), (qui) transforme des intérêts en connaissance (…). Du point de vue pragmatique, la question de la recherche-action, en ne situant pas le savoir comme un savoir expert, mais comme un savoir à produire, est très directement liée à la démocratisation » (Berger, 2003, p.13). Elle se différencie à cet égard de la recherche opérationnelle ou finalisée qui répondent à un besoin prédéfini, ou des sciences citoyennes qui constituent une méthode de recueil de données pré-construites selon des catégories scientifiques.
Ce travail continu et conjoint de recherche et d’action postule pour les chercheur·euse·s un renouvellement dans les formes d’implications d’autres acteur·ice·s (praticien·ne·s, société civile…), dans les méthodologies et outils employés (enquêtes, ateliers, cartographies…), dans les rapports aux terrains (immersions de longue durée, observations participantes…), mais aussi dans les postures et dans les catégories usuelles toutes deux à dépasser, par exemple celles de l’expert ou encore de l’usager, au profit notamment de l’habitant·e, de son habiter et de ses communs. La recherche-action peut revêtir différentes formes qui reposent, le plus souvent, sur l’un de ces quatre axes :
– co-construction des sujets d’études en identifiant collectivement les objets d’analyse et les questionnements associés ;
– co-conception de la problématique du sujet, c’est-à-dire son insertion dans un contexte (social, économique, spatial…) ;
– co-élaboration du rapport au terrain et de ses démarches (ex : enquête sociologique, ateliers prospectifs) ;
– co-identification des finalités démonstratives et des formes de médiation qui en découlent.
Bibliographie:
– Guy Berger, 2003, « Recherche-action Epistémologie historique », dans Pierre-Marie Mesnier et Philippe Missotte, 2003, La recherche-action. Une autre manière de chercher, se former, transformer, L’Harmattan, pp. 11-26.